A l'issue du premier tour, la bataille entre la droite (liste Morançais ; présidente sortante) et la gauche (alliance entre Orphelin, écolo+ et Garot PS+) semblait indécise (voir : http://gerard-fretelliere.over-blog.com/2021/06/la-region-peut-passer-a-gauche.html. Finalement, il n'y a pas eu photo : la présidente sortante distance très largement son adversaire : 392 645 voix (46,45%) contre 294 727 (34,87%) soit un écart de près de 100 000 voix.
La liste Orphelin - Garot avait un potentiel (Orphelin + Garot + Le Beller) de 306 124 voix. Elle n'obtient que 294 727 voix soit une "perte" de 11 397 voix. Par contre, le potentiel de Morançais (Morançais + Bayle de Jessé) était de 303 026 voix et elle obtient 392 645 suffrages soit un gain considérable de 89 600 voix environ. Or le regain de votes exprimés n'a été que de 32 000 voix environ ce qui montre que Morançais est allée "pêcher" ses voix partout. De Rugy perd environ 28 000 voix et Juvin plus de 13 000 voix. Donc, elle grapille à l'extrême-droite, au centre et à gauche. Bravo l'artiste !
Qu'est-ce qui explique ce résultat qui voit la liste de gauche faire du surplace alors que la droite s'envole. La réponse est simple : la droite a su mobiliser au-delà de son camp alors que la gauche n'a pas fait le plein. Mais pourquoi ? Il y a une conjonction d'éléments qui ont tous joué en faveur de la sortante :
- Les retournements de veste d'Orphelin. Il faut être clair : le fait que EE-LV ait confié la tête de liste à une personne qui a fait dissidence en 2017 pour se faire élire sous la barrière macronienne avant de revenir à gauche a été une erreur (d'autant que sa tête de liste en Mayenne était dans le même cas). Le ralliement de LFI à cette liste malgré de fortes réticences internes (mais il faut être naïf pour ne pas comprendre que ce ralliement a été imposé par Mélenchon) l'a rendue un peu hétéroclite d'autant que Orphelin recevait le soutien de dissidents de droite du PS et d'autres anciens macroniens. Néanmoins, Orphelin a réalisé un très bon résultat au premier tour. Restait à faire prendre la mayonnaise de l'accord avec la liste PS+ de Garot et c'est là que le bas a blessé.
- Les blessures mal cicatrisées. Les électeurs socialistes ont, sans doute, mal digéré de voir leur champion dépassé par un écologiste ou, tout au moins, été mécontents d'imaginer qu'une région qui avait été dirigée par le socialiste Auxiette, ne leur reviendrait pas. Le phénomène a sans aucun doute joué, également, en Ile de France.
Il suffit d'examiner les résultats en Mayenne. Au premier tour, Garot était nettement en tête avec 24 399 voix (36,02%). Le total potentiel des voix de gauche (Garot + Orphelin + Le Beller) était de 32 422 voix. Or, au second tour, Orphelin ne recueille que 26 273 voix ; il perd donc plus de 6 000 voix. Inversement, Le potentiel de Morançais (Morançais + Bayle de Jessé) était de 22 878 (33,78%). Au second tour, elle atteint 32 926 voix soit un gain de plus de 10 000 voix qui peut s'expliquer par le recul de de Rugy et Juvin (1 102 voix au total) et une plus grande mobilisation de la droite mais on voit bien qu'elle a recueilli des milliers de voix venant de la gauche.
On peut, également, aller sur les pages facebook des 2 parlementaires PS du département : Sylvie Tolmont et Thierry Cozic. Grosse surprise : aucun mot de soutien à la liste de gauche dirigée par Mathieu Orphelin.
- Le scandale de la non distribution des professions de foi. Je n'ai reçu aucun document concernant les régionales que ce soit au premier et au second tour. Je suis loin d'être le seul. Pour le 27 juin, cela a eu des conséquences négatives pour Orphelin car les électeurs n'ont pas été officiellement prévenus qu'il y avait eu fusion. D'autant plus que le bulletin était vert. Les électeurs de Garot et, a fortiori, du candidat LO, ont pu être déboussolés.
- La peur du rouge. Comme en Ile de France, Morançais a agité le chiffon rouge en découvrant, entre les deux tours, qu'un proche collaborateur de Mélenchon (le nouvel "homme au couteau entre les dents") était sur la liste Orphelin. Ce n'était pas nouveau puisqu'il avait été l'artisan du ralliement des Insoumis à Orphelin mais comme la presse était en plein dézingage du député de Marseille, ça a joué. Et sur les deux tableaux : en attirant des électeurs de de Rugy et des électeurs PS. Il faut rappeler que Huchon, l'ancien président PS de la région Ile de France et Valls, ancien premier ministre PS, ont appelé à voter à droite au second tour. Et que des militants PS écrivaient noir sur blanc sur leur blog, avant le second tous, que Orphelin était un "gauchiste". On peut donc raisonnablement penser que des milliers d'électeurs de Garot qui ont voté Morançais au second tour ont pu être influencés par cet argumentaire.
- La posture théâtrale de Morançais. Elle s'est plainte devant toute la presse d'avoir été humiliée par Orphelin juste avant le débat du second tour. Et elle a annulé sa participation. Il semble qu'elle ait surjoué son ire mais ça a marché. Au point de départ, il y a eu les injures dont Orphelin avait été victime peu avant, de la part (d'après lui) de partisans de Morançais, lors d'une visite à Angers. Le candidat de gauche en a fait le reproche à Morançais qui a nié ce qui a énervé Orphelin qui s'est lâché. Funeste erreur : il faut savoir rester "zen" et ne pas s'attaquer à une femme. Manque de sang froid et misogynie supposée ça fait mal en terme d'image. Pour l'achever, il y a Stéphane Le Foll, maire du Mans et poids lourd du PS ; il n'appelle jamais à voter pour la liste de gauche unie après le 20 juin puis il condamne vertement l'attitude supposée d'Orphelin. Bref : il préfère Morançais à Orphelin (évidemment, ça peut être intéressé car Morançais reste à la Région et ne reviendra pas au Mans).
- Le lâchage de de Rugy par ses "amis". Il existe un groupe de partisans d'Édouard Philippe qui s'appelle La République des Maires (voir : http://gerard-fretelliere.over-blog.com/2020/10/droite-macron-compatible.html). Une des principales figures locales est le maire d'Angers, Christophe Béchu, qui n'a pas souhaité, au premier tour, participer à la liste de Rugy pas plus qu'à celle de Morançais. Mais, à la fin de la campagne du premier tour, on a vu Édouard Philippe, en personne, prendre un verre avec Morançais. C'était un premier signe. Le second message, a été net et sans bavure : le 23 juin, Béchu annonçait son soutien à Morançais. Le troisième, subliminal, a été donné par Nicolas Leudière, nouveau maire de Sablé et adhérent de LRDM par l'intermédiaire du même Béchu. Le 25 juin, il offre un double cadeau à Morançais : il l'accueille dans sa ville - donc il se rallie - et c'est sur le thème de la sécurité cher à l'extrême-droite.
Victoire sur toute la ligne donc pour la droite ligérienne mais une constatation inquiétante. Une partie des électeurs de gauche peut, non seulement, se rallier à un supposé centriste (Macron) mais, également, au moins au second tour, préférer la candidate de droite plutôt que le candidat de gauche alors même qu'il n'y avait aucun danger d'extrême-droite. De très mauvais augure pour la suite.