Poutine l'a dit : l'Ukraine n'existe pas ; c'est une invention de Lénine. (Les léninistes de toute obédience devraient donc dénoncer avec véhémence l'invasion de ce pays). On avait entendu le même genre de discours de la part de béotiens lors de l'indépendance des trois Pays Baltes au moment de l'éclatement de l'U.R.S.S. Comme tout le monde n'a pas les connaissances historiques et géographiques nécessaires pour répondre à ces affirmations, je vais résumer en quelques paragraphes l'histoire de ce pays et de son territoire. Je ne fournis pas les cartes pour ne pas alourdir le propos mais vous pouvez les trouver soit sur le meilleur atlas historique (en allemand) "Atlas für Weltgeschichte" soit avec un livre très riche sur le sujet "Atlas des Peuples d'Europe Centrale".
Une remarque au préalable. La France est un État qui a plus de mille ans d'histoire ; certes, ses frontières ont été modifiées à de nombreuses reprises depuis la fin du Xème siècle mais le Royaume de France (remplacé, ultérieurement par la République voire l'Empire) existe en tant qu'entité politique depuis, au moins, l'avènement de Hugues Capet en 987 (voire depuis 843). Cependant, il s'agit d'une exception en Europe. En effet, sur un territoire donné, il y a eu, dans la quasi totalité de l'Europe, des États très différents. Le territoire de la République d'Ukraine est dans ce cas mais c'est la même chose pour la Russie, la Biélorussie, etc.
L'Ukraine a l'inconvénient d'être composée principalement de plaines et donc il n'y a pas d'obstacles majeurs (hormis les fleuves coulant grossièrement du nord au sud et les Carpathes dans la partie ouest) pour bloquer les envahisseurs qui s'installent durablement ou ne font que passer. Et ceux-ci n'ont pas manqué. Sans prétendre être exhaustifs, on peut citer tout d'abord, les Scythes et les Sarmates, peuples iraniens venus d'Asie ; plus tard, les Goths (divisés en Wisigoths et Ostrogoths) qui sont des Germains (pendant des siècles on a continué à parler Goth dans une partie de la Crimée) ; ensuite les Alains, autre peuple iranien (dont les descendants se sont installés dans le Caucase : ce sont les Ossètes, désormais entièrement contrôlés par la Russie depuis l'invasion du nord de la Géorgie par Poutine) et les Huns, peuple turco-mongol de sinistre réputation ; un peu plus tard, s'installe, sur la marge orientale, un État khazar, d'origine sans doute turco-mongole, qui a la particularité d'être converti au judaïsme ; enfin, d'autres peuples turcophones comme les Petchénègues et les Coumans. Puis arrivent les Slaves et les Vikings.
En effet, ce sont des Varègues, groupe de guerriers scandinaves, qui s'installent au nord-ouest de la Russie actuelle avant de descendre vers le sud. Leur État, la "Rouss", contrôle les populations slaves installés dans ces territoires. A la fin du IXème siècle, ils font de Kiev leur capitale et, un siècle plus tard, totalement slavisés, ils se convertissent au christianisme (988) sous l'influence byzantine (donc, ils seront orthodoxes). Cet État s'étendait grossièrement sur la plus grande partie de l'Ukraine et de la Biélorussie actuelles ainsi que sur l'Ouest de la Russie. La "Russie kiévienne" va, assez vite, se scinder en principautés puis disparaître sous les coups d'un ennemi implacable, les Mongols.
Ce peuple sous la direction de Gengis Khan puis de ses successeurs s'empare, en quelques années, d'un territoire gigantesque depuis la Chine jusqu'à l'Europe centrale. Ils détruisent Kiev en 1235 et poussent jusqu'aux portes du Saint Empire Romain Germanique et de l'Italie. Ils ravagent tout sur leur passage et dépeuplent les territoires traversés. Puis ils refluent à partir de 1241. Néanmoins, ils restent en Europe où ils établissent la Horde d'Or (on parle désormais de Tatars ; ceux-ci deviennent musulmans) qui contrôle une bonne partie de la Russie d'Europe, de la Biélorussie et de l'Ukraine. Malgré quelques victoires (ex. 1380), la principauté de Moscou restera vassale des Tatars jusqu'à la prise de Kazan en 1552. Les Tatars domineront la Crimée jusqu'à la fin du XVIIIème siècle (ils occupent l'intérieur alors que la côte est surtout peuplée de Grecs).
Un autre acteur rentre en scène : les Lituaniens. Peuple encore "païen", ils vont repousser peu à peu les Tatars et leur infligent une terrible défaite en 1362 ce qui leur permet d'atteindre la Mer Noire (temporairement). En 1385, le Grand-Duc de Lituanie devient également Roi de Pologne sous le nom de Ladislas Jagellon mais ce n'est qu'une union personnelle. Les Lituaniens finiront par se convertir au christianisme latin comme l'avaient fait les Polonais plus de 4 siècles auparavant. Pendant les siècles suivants, l'union entre Lituaniens et Polonais se renforce jusqu'à l'Union de Lublin (actuellement en Pologne) qui, en 1569, crée la "République des Deux Nations" qui est, en fait, une monarchie élective. Elle disparaîtra à la fin du XVIIIème au moment du 3ème partage de la "Pologne".
Intéressons-nous à cet État qui, à bien des égards, est original. Avec près de 1 million de km², il s'étendra, à son apogée, de la Mer Noire à la Mer Baltique. Il recouvre une partie de la Pologne d'après 1945, une partie de la Lituanie d'après 1991, mais la quasi totalité de la Biélorussie et de l'Ukraine d'après 1945 (donc, sans la Crimée) plus, pendant un temps, des territoires actuellement lettons, moldaves ou russes. Les Lituaniens, peuple de langue balte, sont très peu nombreux à la différence des Polonais, peuple de langue slave ; à l'est du pays, on trouve d'autres slaves fort nombreux que l'on nomme Ruthènes. Ceux-ci, christianisés à l'époque kiévienne sont orthodoxes et non latins. On a donc une division confessionnelle entre l'ouest et l'est du pays. La partie orientale se divise en 2 parties : au nord, elle dépendra de la Lituanie, c'est l'embryon de la Biélorussie ; au sud, elle dépendra de la Pologne et forme l'embryon de l'Ukraine. Les souverains catholiques s'efforceront de rattacher les populations ruthènes au catholicisme ; ce sera un demi-succès avec la naissance, à la fin du XVIème d'une Église catholique (car rattachée à Rome) mais de rite byzantin qui sera dite "gréco-catholique". Cette Église appelée aussi "Uniate" est encore présente dans l'ouest de l'Ukraine. Il faut y ajouter d'autres peuples et d'autres religions : des Allemands - luthériens ou catholiques- des calvinistes qui seront très influents, pendant un temps, dans la noblesse lituanienne ou polonaise avant de quasiment disparaître, des juifs. Ceux-ci, venus d'Allemagne, sont attirés par la grande tolérance que manifestent les souverains pendant une bonne période. Ils représentent 10% de la population et parlent une langue d'origine germanique mais écrite en alphabet hébraïque : le yiddisch (de "jüdisch" qui veut dire "juif" en allemand). On pourrait ajouter 2 minuscules minorités qui sont encore présentes aujourd'hui, totalement intégrées : des Tatars musulmans et des Karaïtes (dissidence du judaïsme).
Après plus d'un siècle de prospérité (le siècle d'or) du XVème au milieu du XVIIème, la "République" décline à la fois sous l'effet des coups de boutoir de ses voisins : Suédois, Russes, Habsbourg, Hohenzollern, Empire Ottoman mais, également du fait de crises internes. En effet, le pouvoir central est, de facto, aux mains de la noblesse polonaise ou polonisée dont les querelles entraînent une forte instabilité. Qui plus est, les paysans, surtout les Ruthènes, supportent de plus en plus mal le joug de ces grands propriétaires. Ils vont avoir tendance à se révolter et à rejoindre les Cosaques. Ces derniers - des guerriers d'origines très diverses - se sont installés au sud-est de l'Ukraine actuelle. Ils sont utilisés par les souverains russes et polonais pour garder leur flanc sud mais se comportent également en pillards. Originalité : leur organisation démocratique avec un Conseil (la Rada) et un chef (l'Ataman). Au milieu du XVIIème siècle, le chef cosaque Bogdan Khmelnitsky, soutient une révolte des paysans ruthènes orthodoxes contre la noblesse polonaise. Elle est victorieuse mais elle a donné lieu à de terribles massacres de Polonais, d'Uniates ("hérétiques") et, surtout de Juifs perçus comme des auxiliaires des grands propriétaires (plusieurs dizaines de milliers de morts au total). Il est considéré comme un des pères de la nation ukrainienne mais il va, aussi, un peu plus tard, se rallier au tsar.
Les partages de la Pologne-Lituanie, à la fin du XVIIIème vont surtout favoriser la Russie. L'Autriche s'empare seulement de la partie occidentale de l'Ukraine actuelle (la plus grande ville étant Lviv/Lwow/Lvov/Lemberg). La Hongrie contrôle déjà l'Ukraine subkarpatique (qui sera Tchécoslovaque entre les deux guerres avant de passer à l'URSS). Une autre partie de la Pologne passe à la Prusse mais on est loin de l'Ukraine. Un peu avant, la Russie s'était emparé, brutalement, du khanat tatar de Crimée composé de toute la partie sud de l'Ukraine de 1945 (Crimée, Tauride, Méotide, Jédisan, Boudjak) s'offrant un large débouché sur la Mer Noire puis créant le grand port d'Odessa (développé par le duc de Richelieu). Les tsars y installeront des colons russes et ukrainiens mais également allemands, grecs et bulgares ; les Tatars seront en grande partie expulsés (vers l'Empire ottoman) mais subsisteront en Crimée ; les Gagaouzes (turcophones chrétiens) sont présents dans le Boudjak.
L'Ukraine divisée en deux parties inégales (une petite partie en Autriche Hongrie ; le reste en Russie) va connaître un longue période de stabilité et de prospérité. Elle devient le "grenier à blé" de la Russie (grâce aux "terres noires") et une grande région industrielle grâce aux ressources en charbon ou en fer (surtout à l'est). Pendant la première guerre mondiale, le territoire est le lieu d'affrontement entre les armées austro-hongroise et russes.
De 1917 à 1921, l'Ukraine est un champ de bataille entre une multitude de tendances politiques : socialistes puis nationalistes ukrainiens qui proclament une indépendance éphémère, "armée rouge" communiste, anarchistes de Nestor Makhno, "armées blanches" et troupes étrangères (austro-hongroises et allemandes d'abord puis anglo-françaises puis polonaises). La plupart des villes changent de mains plusieurs fois et on ne compte plus les massacres et les morts (d'autant que l'on ne fait pas de prisonniers).
Dans le même temps, un très grave conflit éclate entre la nouvelle République Polonaise et la Russie soviétique. Les premiers veulent retrouver les territoires perdus au XVIIIème tandis que les seconds veulent récupérer les territoires de l'Empire mais, également, exporter la révolution vers l'Ouest en passant sur "le cadavre de la Pologne" dont l'armée est nettement moins puissante. La guerre soviéto-polonaise dure de 1919 à 1921. Les nationalistes ukrainiens se rallient aux Polonais. Les troupes bolchéviques sont finalement stoppées devant Varsovie et se replient en désordre. Les communistes acceptent de négocier : paix de Riga en 1921. Néanmoins, les Ukrainiens ne sont pas associés aux négociations et il n'y aura pas d'Ukraine indépendante.
Finalement, les bolchéviks s'imposent dans la plus grande partie de l'ancien Empire tandis que la Pologne récupère l'Ukraine austro-hongroise (la Galicie orientale), une partie de l'Ukraine "russe" (Volhynie) et l'ouest de la Biélorussie. Les Soviétiques créent une République Soviétique d'Ukraine au sein de l'URSS et favorisent, pendant un temps, la culture ukrainienne mais celle-ci est brimée en Pologne où se manifeste un mouvement nationaliste pratiquant le terrorisme. L'U.R.S.S. développe une puissante industrie lourde (surtout dans le "Donbass") mais la collectivisation de l'agriculture entraîne une terrible catastrophe : des centaines de milliers de "koulaks" sont déportés, les réquisitions forcées entraînent une terrible famine qui tue des millions de personnes dans la plus riche région agricole du pays (alors que les Ukrainiens de la partie polonaise ne connaissent aucun problème alimentaire).
Le 1er septembre 1939, Hitler envahit la Pologne qui, juste après, est envahie par l'U.R.S.S. qui s'empare de l'Ukraine occidentale où elle est assez bien accueillie au début ; mais ça ne dure pas car l'ordre stalinien s'impose brutalement. Le 22 juin 1941, Hitler attaque l'U.R.S.S. qui subit défaites sur défaites. L'Ukraine est presque entièrement occupée à la fin de l'année. L'offensive allemande progresse encore au printemps 1942 mais est bloquée à Stalingrad. Puis l'U.R.S.S. contre-attaque et regagne le terrain jusqu'à la victoire de 1945. Les combats font des millions de morts, blessés et prisonniers (les prisonniers soviétiques, qui ne sont pas protégés par les Conventions de Genève, subissent des pertes considérables puis ce sont les prisonniers allemands qui auront beaucoup de morts). Et, surtout, cette période est marquée par des exécutions, des déportations, des massacres qui font des millions de victimes. Les Allemands exterminent les Juifs, très nombreux en Ukraine, et les communistes. Beaucoup d'Ukrainiens accueillent favorablement les Allemands censés les libérer du joug soviétique : certains collaborent activement avec les Allemands, d'autres essaient de profiter de la situation pour obtenir l'indépendance ; ces derniers, regroupés principalement autour de Stepan Bandera, s'allient aux Allemands avant de se retourner contre eux puis contre les Soviétiques (la guérilla durera jusqu'en 1950). Des dizaines de milliers de Polonais d'Ukraine occidentale sont victimes de massacres principalement causés par les bandéristes. Cependant, des millions d'Ukrainiens sont raflés et envoyés en Allemagne comme main d'oeuvre misérable dans les usines et les campagnes ; ceux restés en Ukraine ne sont pas mieux traités que par les Soviétiques. Pendant la guerre, la plupart des Allemands d'Ukraine sont évacués vers l'Allemagne ; d'autres seront déportés en Asie par les soviétiques ; tous les Tatars de Crimée sont déportés en Asie soviétique, ainsi que des Grecs. A la fin de la guerre, la Pologne orientale est annexée par l'U.R.S.S. et rattachée soit à l'Ukraine soit à la Biélorussie ; les Polonais de ces territoires sont envoyés à l'ouest où des territoires arrachés à l'Allemagne (à l'est de la ligne Oder-Neisse) sont vidés des Allemands qui s'y trouvaient depuis des siècles. L'Ukraine soviétique s'agrandit, également, d'une partie de la Roumanie et d'une partie de la Tchécoslovaquie. La République socialiste soviétique d'Ukraine recouvre en grande partie le territoire de l'Ukraine indépendante de 1991 ; s'y ajoutera - en 1954 - la Crimée qui, jusque-là faisait partie de la République de Russie.
Le 25 décembre 1991, l'U.R.S.S. disparaît ce qui entraîne la reconnaissance de l'indépendance des 15 Républiques Constitutives dont la Russie (et l'Ukraine). La majorité de ces républiques vont, toutefois, créer la Communauté des États Indépendants (CEI) qui existe encore sur le papier mais qui a perdu des membres. Les États Baltes n'en feront jamais partie et adhéreront à l'Union Européenne et à l'O.T.A.N. L'Ukraine et la Géorgie s'en retireront ultérieurement.
L'Ukraine indépendante est très liée à la Russie, à tous les niveaux. Comme sa grande soeur russe, les leviers de l'économie sont confisqué par des "oligarques" : des amis du pouvoir en place qui , partant de rien, vont se constituer une fortune immense et un fort poids politique en rachetant pour une bouchée de pain, des pans entiers des combinats industriels soviétiques. Les dirigeants de l'ère soviétique se recyclent comme responsables du nouvel État et affichent leur proximité avec Moscou. C'est une des causes du soulèvement de Maïdan - du nom d'une place Kiev investie par les manifestants - qui fait chuter le Président pro-russe. C'est à ce moment que Poutine décide de "punir" l'Ukraine en menant une guerre secrète qui lui permet de s'emparer de la Crimée et de placer des fantoches à la tête de "Républiques Populaires" autoproclamées dans l'Est du pays. La suite on la connaît.