Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 janvier 2022 5 21 /01 /janvier /2022 11:20

     Les spécialistes connaissent l'aphorisme de Guy Mollet, principale figure du parti socialiste SFIO sous la IVème République (il fut, un temps, Président du Conseil des Ministres) : en décembre 1957, il évoque "la droite la plus bête du monde". La formule fera florès et sera souvent retournée en son contraire pour fustiger l'incapacité de la gauche française à s'unir pour vaincre la droite et prendre la pouvoir. Le triste spectacle donné actuellement par tous les candidats qui se réclament peu ou prou de la gauche, en cette année d'élection présidentielle, ne peut qu'alimenter ce procès en stupidité. 

 

     Avant d'examiner le champ de ruines, il n'est pas inutile de revenir sur le contexte de cette élection

 

     Lorsque les révolutionnaires proclament la République en 1848, la nouvelle Constitution prévoit que celle-ci sera dirigée par un Président de la République, élu pour 4 ans, non renouvelables, au suffrage universel direct. Contre toute attente, le vainqueur ne fut pas un républicain mais le neveu de Napoléon 1er : Louis-Napoléon Bonaparte. Il se fit élire en profitant de la détestation de Cavaignac - un républicain certes, mais responsable du massacre des ouvriers parisiens lors des "Journées de juin" 1848 -  et de l'absence d'implantation des autres candidats. Bénéficiant du nom de son illustre parent, de gros moyens financiers et du soutien de nombreux monarchistes,  il écrase ses concurrents en obtenant près de 75% des voix en décembre 1848. Trois ans plus tard (le 2 décembre), il s'empare de tous les pouvoirs par un coup d'État contre l'Assemblée puis, se proclame Empereur un an plus tard. 

 

     Bien que les pouvoirs du Président aient été limités par la Constitution, la leçon sera retenue : il n'est pas question que le Président soit élu au suffrage universel car il obtiendrait, ainsi, la même légitimité que l'Assemblée législative (actuellement Assemblée Nationale). Les constitutions de la IIIème et de la IVème République vont donc prévoir la primauté du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. Le titre de Président de la République est maintenu mais, d'une part, ses pouvoirs sont réduits (on dit qu'il ne sert qu'à "inaugurer les chrysanthèmes" ce qui est quand même assez faux) et, d'autre part, il n'est pas élu au suffrage universel mais seulement par les députés et sénateurs. 

 

     En juin 1944, les résistants rétablissent la République sur le sol français. Celle-ci sera dirigée par un Gouvernement Provisoire de la République Française dont le premier chef sera De Gaulle qui exerce les fonctions autrefois dévolues au Président de la République et au chef du gouvernement (le Président du Conseil des Ministres). Lors de la discussion sur le texte de la future Constitution, De Gaulle souhaite renforcer les pouvoirs du chef de l'exécutif ; il n'est pas suivi et il démissionne en janvier 1946. La Constitution de la nouvelle République (la IVème) consacrera le relatif effacement du Président de la République. 

 

     De Gaulle revient au pouvoir le 1er juin 1958 à la suite du coup d'État ayant eu lieu en Algérie le 13 mai. Il est Président du Conseil pendant 6 mois. Pendant cette période, De Gaulle fait rédiger une nouvelle Constitution, celle de la Vème République, ratifiée par référendum le 28 septembre 1958. Celle-ci renforce les pouvoirs du Président de la République mais le régime demeure parlementaire. Le dernier Président de la IVème, René Coty, démissionne et De Gaulle est élu premier Président de la Vème le 21 décembre 1958. Il a, cependant, dû faire une concession : l'élection ne se fait pas au suffrage universel mais le Président est élu par un collège de 80 000 notables (en gros : le corps électoral des sénatoriales). De Gaulle obtient un score fleuve. 

 

     Têtu, De Gaulle va renforcer le poids du Président par deux moyens. Primo, il se livre à une interprétation fallacieuse de la Constitution qui lui donnera, par exemple, la prééminence dans le domaine de la Défense et de la politique étrangère et coloniale (ce que l'on appelle le "domaine réservé" qui n'était pourtant pas "réservé" par la Constitution). Secundo, il viole la Constitution (le Président du Sénat parle de "forfaiture"), en soumettant à référendum l'élection du Président au suffrage universel. Il gagne haut la main ce référendum en octobre 1962. Désormais, le Président récupère une légitimité populaire que n'avaient pas les Présidents de la IIIème et de la IVème, élus par le Parlement. De Gaulle va faire de la prochaine élection, en décembre 1965, une sorte de référendum sur sa personne. Ce qui aura un effet boomerang car il est acculé à un ballotage qu'il gagne mais avec un score étriqué d'un peu plus de 55% face à François Mitterrand, "candidat unique de la gauche". Il faut remarquer que pour se présenter, il faut, en particulier, réunir le parrainage d'élus au nombre de 100. Cet obstacle semble facile à surmonter mais il n'y eut, pourtant que 6 candidats, ayant tous des mandats politiques hormis Marcel Barbu (il avait, quand même été élu à la fin de la guerre). 

 

     Il n'est pas dans mon propos d'étudier toutes les élections s'étant déroulées depuis. Je me contente d'insister sur quelques tournants significatifs. 

 

     Pour l'élection de 1981, il fallait, désormais,  réunir 500 signatures. Cet obstacle empêcha, cette année là, la candidature de Jean-Marie Le Pen (qui, ensuite, sera présent puis sera suivi par sa fille) et d'Alain Krivine, candidat trotskiste en 1974 mais, par contre, il fut surmonté par plusieurs "petits candidats". Non seulement par la recordwoman Arlette Laguiller; autre militante trotskiste dont le parti n'a, pourtant, aucun élu pouvant parrainer mais qui, par un démarchage militant, ne semble avoir jamais eu de peine à obtenir ultérieurement  le précieux sésame. L'élection de 2002 verra même concourir 3 candidats trotskistes alors qu'il est évident qu'il n'y a pas 1 500 maires ou conseillers généraux et régionaux de cette tendance. Loin de là ! Depuis que la nouvelle règle a été instauré, on n'a pas remarqué une baisse des candidats. On est donc surpris d'entendre Jean-Luc Mélenchon s'inquiéter pour 2022 alors qu'il y a un "tapis" de plus de 42 000 "parraineurs". Il est vrai qu'en 2007 et 2012 il a pu compter sur le PCF et que ses partisans ont pris l'habitude d'être servis sur un plateau. Il est vrai, aussi, que les partis ayant un nombre respectable d'élus peuvent en jouer pour affaiblir leurs adversaires selon le principe "les ennemis de mes ennemis sont mes amis". Par exemple, les socialistes ont été suspectés d'avoir fortement aidé deux gaullistes (Marie-France Garaud  et Michel Debré) afin de retirer des voix à Chirac pour permettre à Mitterrand d'être au second tour. Inversement, les mêmes socialistes ont sanctionné des élus ayant parrainé Huguette Bouchardeau, susceptible de prendre des voix au même Mitterrand. Et on peut s'interroger sur l'origine des parrainages de Bruno Mégret (concurrent de Le Pen) en 2002. Quant à Jospin, favori de la présidentielle de 2002, s'il doit son échec en grande partie à sa mauvaise campagne, il est évident qu'il doit son incapacité atteindre le second tour à la candidature de Christiane Taubira, poussée par Jean-Michel Baylet vexé de ne pas avoir obtenu un maroquin. Basse vengeance qui prouve que pour "tuer" politiquement un adversaire au sein de son camp, il n'y a pas que le "Canard Enchaîné". 

 

     Un autre tournant se produisit en 1981. Tout juste élu, Mitterrand se retrouvait face à une majorité parlementaire de droite. Il considéra que l'élection présidentielle étant "la mère des batailles", il pouvait forcer le destin : il décida donc de dissoudre l'Assemblée Nationale en utilisant une disposition de la Constitution qui n'avait pas été prévue à cet effet. Et il gagna une large majorité pour 5 ans. Cependant, les deux mandats n'avaient pas la même durée : 7 ans pour le Président, 5 ans pour l'Assemblée. En 1986, la majorité parlementaire changea ce qui amena une "cohabitation" entre deux légitimités qui s'exercèrent quasi parallèlement et qui, permirent de revenir à un régime plus parlementaire. Mitterrand ayant été réélu en 1988, il se lança dans une seconde dissolution moins réussie mais en 1993, il se trouva, à nouveau, face à une majorité de droite et il y eut une seconde cohabitation. L'élection de Chirac en 1995 mit la même tendance au pouvoir à l'exécutif et au législatif jusqu'à ce que Chirac n'effectue, en 1997, une 3ème dissolution stupide et ne doive affronter une 3ème cohabitation de 5 ans cette fois-ci. Est-ce que cela allait sonner le glas des pouvoirs gagnés peu à peu par le Président de la République ? Pas du tout car il y a eu une troisième tournant : le quinquennat présidentiel.

 

     Il faut rappeler que depuis la Constitution de la IIIème République, le Président était élu pour une durée de 7 ans : c'est le septennat. Ceci avait pour fonction de stabiliser l'un des deux pôles de l'exécutif alors que les gouvernements pouvaient changer plus ou moins fréquemment. Le renforcement considérable du rôle du Président de la République sous la Vème République amène certains à se poser la question du raccourcissement du mandat. Une loi sera même votée sous Pompidou mais ne sera pas soumise à ratification. Mitterrand l'annonçait dans son programme mais n'en fera rien.

 

     Jospin, candidat socialiste en 1995, ira dans le même sens mais, bien que battu par Chirac, il deviendra Premier Ministre de la Cohabitation entre 1997 et 2002. Il va donc pousser à cette réforme avec le soutien de Valéry Giscard d'Estaing, ancien Président. Ils vont triompher des réticences de Chirac et le référendum du 24 septembre 2000 établit le quinquennat. Néanmoins, on sent bien que le sujet n'enthousiasme pas les foules puisque le taux d'abstention est considérable (près de 70%) sans oublier le pourcentage de blancs et nuls (plus de 16%). Certes, le oui l'emporte largement avec près de 75% mais, en fait, seuls 18,5% des électeurs inscrits ont ratifié cette décision. Il faut remarquer que si le PS (Rappel : Mélenchon était ministre socialiste à l'époque) et la droite classique ont appelé à voter oui, les autres partis de gauche ont, curieusement, prôné l'abstention, le vote blanc ou nul laissant à l'extrême-droite et à quelques autres le son d'appeler à voter non. Funeste erreur. J'y étais très opposé et j'ai tenté de faire partager mon point de vue au sein des mouvements de gauche auxquels j'appartenais. Sans succès ! Malheureusement. 

 

     En effet, la réforme ne s'arrête pas là. Du fait de la dissolution de 1997, le mandat de l'Assemblée s'arrêtait en 2002 c'est à dire la même année que l'élection présidentielle. Or, les législatives devaient avoir lieu avant les présidentielles. Il a suffi de modifier le calendrier pour inverser l'ordre : l'élection des députés aura lieu, désormais, après celle du Président. C'était prévisible mais ça change tout : les législatives sont maintenant le 3ème tour de la présidentielle qui va, donc, écraser le débat politique. Or, élire une seule personne ce n'est pas la même chose que de voter dans plus de 500 circonscriptions. Cette réforme va aggraver les deux principaux défauts du système : la présidentialisation de la vie politique et la personnalisation outrancière de l'élection. 

 

     Je n'évoquerai, ici, que ce second aspect. De Gaulle se voulant "au-dessus des partis", considérait que le scrutin présidentiel était une sorte de référendum sur sa personne en s'appuyant sur le principe "qui m'aime me suive". Dans une certaine mesure, la candidature de Mitterrand en 1969 allait dans ce sens car il n'appartenait, alors, ni au parti socialiste SFIO, ni au Parti Communiste. En 1969, le Parti Communiste présenta son propre candidat mais choisit Jacques Duclos qui n'était pas le numéro 1 du parti car sa personnalité bonhomme était censée attirer un électorat plus large ; il dépassa les 21%. En 1973, l'Union Communiste Internationaliste, parti trotskiste connu sous le nom public de Lutte Ouvrière, avait mis en avant, pour les législatives, une employée de banque, Arlette Laguiller, qui battit le record de mots en une minute et se fit connaître pour concourir aux présidentielles de 1974 puis récidiva en 1981, 1988, 1995, 2002, 2007. Dans une certaine mesure, le "casting" va jouer un rôle croissant. Ultérieurement, les principaux candidats seront issus d'un grand parti mais une autre évolution va apparaître avec l'invention des "primaires" par le PS, en 2007. Plusieurs membres du même parti concourent face à un "jury" composé d'un grand nombre de sympathisants. Cela a une allure de démocratie mais le parti est mis de côté, en fait, dans la mesure où c'est le programme du candidat qui prime sur celui du PS. Là encore, on aura, également, un effet "image" avec la victoire de Ségolène Royal. En 2012, rebelote mais le vainqueur est le numéro 1 du PS, donc ce n'est pas une surprise. En 2017, c'est la droite qui se lance dans cette présélection et attire plus de 4 millions d'électeurs. Contre toute attente, c'est Fillon qui est choisi ; néanmoins, comme ses deux principaux concurrents, c'est un cacique du parti. Triomphant à ce pré- concours, il se croit vainqueur de la présidentielle de ce seul fait. Erreur fatale d'autant que ses ennemis savent se servir du "Canard Enchaîné". 

 

     Mélenchon, va pousser à son paroxysme cette personnalisation gaullienne. Ce sera l'objet de la seconde partie. 

 

     A suivre. 

 

 

     

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Gérard FRETELLIERE
  • : Sabolien depuis plus de 40 ans. Conseiller municipal d'opposition de 1989 à 2008 puis de nouveau de 2016 à 2020. Ancien responsable syndical. Militant associatif (écologie, défense des demandeurs d'emploi, aide à l'intégration des étrangers). Je circule en ville à vélo ou à pied. Géographe de profession, je suis passionné de voyages et de jardinage. J'ai créé ce blog en 2011.
  • Contact

Recherche