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11 mai 2019 6 11 /05 /mai /2019 07:16

 

Tous mes ancêtres connus, depuis cinq siècles, sont nés à l'intérieur des frontières actuelles de la France (voir : http://gerard.fretelliere.over-blog.com/2019/03/mes-origines-geographiques.html). Je n'ai pas écrit qu'ils étaient tous "Français" car avant 1532 la Bretagne, dont sont originaire plus des 4/5 de mes ancêtres connus, est plus ou moins indépendante.

 

Est-ce à dire que mes aïeux parlaient " français" ? Si l'on entend sous ce vocable la langue de la France moderne, devenue langue officielle du droit et de l'administration (et seulement dans ces cas précis)1 par l'ordonnance de Villers Cotterets (1539)2, la réponse est non comme pour la quasi totalité du territoire français jusqu'à la Révolution. En effet, jusqu'au XVIIIème siècle, voire au-delà, les habitants de notre pays parlaient soit une des nombreuses variantes régionales de la langue d'oïl, soit une langue souvent très différente (langues d'oc, catalan, arpitan, corse, alsacien, francique, flamand, basque, breton). Quant au "français", parlé ou écrit, du XVIème, il différait profondément du français du XXIème diècle.

 

Mes ancêtres angevins parlaient l'angevin, une langue d'oïl, parlée également, avec quelques variantes, dans le Maine (Mayenne et Sarthe). Comme le français officiel, la langue a dû évoluer au cours des siècles et les Angevins d'aujourd'hui auraient sans doute du mal à comprendre leurs ancêtres du XVème s'ils revenaient sur terre.

 

Et mes ancêtres bretons ? C'est plus compliqué. En effet, on distingue en Bretagne, 2 zones linguistiques différentes dont les frontières ont un peu varié au cours du temps.

 

La partie en couleur correspond à la zone bretonnante. Les dégradés de gris montrent le recul du breton.

La zone en blanc correspond à celle où on n'a jamais parlé breton..

Blanc et dégradés de gris correspondent au domaine du gallo.

 

- La Basse Bretagne, c'est à dire la partie de la Bretagne la plus éloignée de Rennes, la capitale, donc la Bretagne occidentale a été très majoritairement bretonnante jusqu'au début du XXème siècle comme en témoignent les livres de Pierre-Jakez Helias (hormis dans les villes où "l'élite" ne connaissait que le français et encore plus à Brest à la population plus "cosmopolite"). Le Trégor (l'ouest des Côtes d'Armor) est, actuellement, la partie de la Région où on utilise encore le plus le breton. J'y ai passé des vacances entre 1959 et 1967 : les habitants parlaient systématiquement le breton entre eux et la messe était dite, en partie en breton.

La limite linguistique entre la Bretagne occidentale bretonnante et le reste de la Bretagne a un peu évolué au cours des siècles : elle va de l'ouest de Saint Brieuc jusqu'au sud-est du Morbihan en passant par Loudéac, Josselin et Malestroit. Or, la famille de ma grand-mère maternelle, Euphrosine Gicquel, est originaire de villages situés à proximité de la frontière linguistique et leurs lieux de naissance se trouvaient encore en grande partie dans la zone bretonnante au début du XVIème siècle voire plus tard.

Aucun membre de sa famille ne parlait ni ne comprenait le breton mais il n'en est donc sans doute pas pareil pour une partie de ses ancêtres. Quoiqu'il en soit, ma mère a toujours pensé que ses aïeux du centre de la Bretagne s'exprimaient en breton et elle aurait bien voulu parler cette langue. 

Les seuls aïeux parlant breton étaient originaires de l'extrême ouest des Côtes d'Armor (région de Plestin les Grèves). L'un d'entre eux quitta la région au XVIIIème siècle pour s'installer à 200 km plus à l'est, en zone francophone.

 

- La Haute Bretagne ou Bretagne orientale parlait le gallo3, une langue d'oïl somme toute assez peu éloignée de la langue parlée en Anjou et dans la Maine occidental si l'on se réfère au grand nombre de toponymes communs et à quelques patronymes identiques (exemple : Jamois, patronyme que l'on trouve assez tôt dans le Maine).

Mais ce n'est pas si simple car une partie de la Bretagne orientale a parlé breton pendant des siècles (la "perte du breton" s'est effectuée de l'est vers l'ouest entre le Xème et le XVIème siècle). La limite entre la zone n'ayant jamais parlé breton et celle qui a perdu plus ou moins tardivement l'usage de cette langue passe approximativement par Antrain, l'ouest de Rennes et de Blain pour atteindre la Loire en amont de Saint Nazaire. On n'a donc jamais parlé breton à Nantes et Rennes (sauf les "immigrés" bretonnants) pas plus qu'à Fougères, Vitré, Ancenis, Chateaubriant ou Clisson de même qu'à Melesse ou Betton.

Cette différence se marque avec évidence dans les toponymes : à l'ouest de cette limite, les toponymes d'origine bretonne sont très nombreux (terminaisons en -ac ou -euc ; préfixes en plé- ou pleu- ou lan-  ou tré- etc...) et, accessoirement, on trouve des traces bretonnantes dans les patronymes (ex : Briand : prénom breton francisé devenu patronyme). A l'est, les toponymes sont romans ; idem pour les patronymes à quelques exceptions près du fait de déplacements parfois fort minimes.

 

Il est probable que mes arrière-arrière-grand-parents bretons parlaient gallo. Peut-être, aussi, leurs enfants. Ma mère ne m'a indiqué une seule phrase en "patois" entendu de ses grand-parents : "va m'quère une seillée d'ève" ; c'est à dire : "va me chercher un seau d'eau". Elle employait le mot "pochon" typiquement gallo. Et "bigner" qui a sans doute la même origine. Mon père, quant à lui, se rappelait des employés du T.I.V. (le tramway d'Ille et Vilaine) qui annonçaient la commune de "Saint Gueurgouère" à la place de Saint Grégoire, avec la prononciation typique de cette région.

 

Mais, aux générations suivantes, du moins autant que j'ai pu m'en rendre compte lors de mes séjours dans la région de Rennes, on ne parlait que le français "classique" avec quelques nuances.

Les différences provenaient principalement de la prononciation et de la conjugaison.

Ainsi, il était fréquent de ne pas prononcer la plupart des e non muets : Mélesse (avec, en théorie, un accent aigu) s'écrivait, de fait, Melesse et se prononçait "Mlesse". Idem pour Chevaigné devenu "Chvaigné", Gévezé devenu "Gévzé", etc... Je suis, d'ailleurs, incapable de faire autrement. Autre spécificité : le z final ne se prononce pas. On dit "Bru" pour Bruz et "Rô" Landrieux pour Roz Landrieux.

Il était très fréquent de prononcer -ète les noms se finissant par -et. On dit donc "Huchète" pour Huchet, "Truète" pour Truet (de même que tout un chacun dit "Huète" pour Huet, même en Sarthe !!!). Quant à Juet, on a finit par l'écrire Juette. Par contre, je crois me rappeler que l'on prononçait Loret de façon classique. Au Québec, on a le même type de prononciation de la terminaison -et.

Autre originalité : l'emploi généralisé du passé simple pour exprimer le passé alors que partout ailleurs, en France, ce temps est tombé en désuétude. Cependant, il était aisé de noter les différences sociales car les "gens du peuple" conjuguaient de façon fautive alors que ceux qui étaient "instruits" se mouvaient avec aisance dans la conjugaison de ce temps assez difficile.

 

Et les "Parisiens" ? Je mets entre guillemets car, aucun ancêtre n'a habité Paris avant que des petits-enfants de mes parents ne s'y installent en venant de la "province". Les parents de mon grand-père paternel, mes grand-parents, mes parents, mes frères et soeur et moi-même avons vécu en proche banlieue pendant une durée plus ou moins longue de notre vie. Pour ma part, après 1/3 de siècle de présence, j'avais acquis un fort accent "parigot". Mais je ne parlais pas "argot" même si je comprenais certains mots ou expressions. Mes parents étaient dans le même cas. Par contre, le frère de mon père était un vrai "titi parisien" qui ne s'exprimait qu'en argot ; il fallait, parfois, que mon père traduise. Il ne disait jamais "la porte" mais "la lourde". Il parlait de "tarin", de "blaire" de "pif" mais pas de nez... Cependant, il s'exprimait très bien en français classique quand c'était nécessaire.

Mon père et (surtout) ma mère utilisaient beaucoup d'expressions imagées truffées de mots étranges comme "gougnafier" ou "gnognotte". Par exemple "du travail de gougnafier" ou "ce n'est pas de la gnognotte". Je vous livre deux beaux spécimens : "il a une tête de décavé" ou "des haricots de couturière" ou "à tire larigot". Je peux vous en citer des centaines dont je comprends le sens bien évidemment. J'aime les utiliser. C'est quand même plus vivant que le langage technocratique ou le "globish".

 

 

1Il faudra attendre 1992 pour que la Constitution de la République Française reconnaisse explicitement le français comme langue officielle du pays (et la seule)

2Cette ordonnance obligeait, également, les curés à tenir un registre des baptèmes, mariages et sépultures (B.M.S.). Bref, cette ordonnance est une bénédiction pour les adeptes de la généalogie.

3Ironiquement, "gallo"est un terme utilisé par les bretonnants. Il vient de gall qui signifie français. Pour ma part, ma famille de Haute Bretagne n'a jamais employé ce terme ; on parlait le "patois"

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Présentation

  • : Le blog de Gérard FRETELLIERE
  • : Sabolien depuis plus de 40 ans. Conseiller municipal d'opposition de 1989 à 2008 puis de nouveau de 2016 à 2020. Ancien responsable syndical. Militant associatif (écologie, défense des demandeurs d'emploi, aide à l'intégration des étrangers). Je circule en ville à vélo ou à pied. Géographe de profession, je suis passionné de voyages et de jardinage. J'ai créé ce blog en 2011.
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