Texte intégral du document remis au commissaire enquêteur
Gérard FRÉTELLIÈRE
72300 SABLÉ
Conseiller Municipal de SABLÉ
le 6 juillet 2006
AVIS SUR LA DEMANDE DE DÉCLARATION D’UTILITÉ PUBLIQUE
POUR LA NOUVELLE LIGNE A GRANDE VITESSE
ENTRE CONNÉRRÉ ET RENNES
Je me considère comme étant concerné par le projet à plusieurs titres :
- En tant que conseiller municipal de Sablé sur Sarthe dont la gare, située sur la ligne Paris Nantes, connaît un important trafic et qui serait la terminaison d’une branche de la ligne nouvelle en projet.
- Comme usager du service public des transports, d’autant que j’habite à moins de 10 minutes à pied de la gare ; de ce fait, j’utilise fréquemment le train pour me rendre en journée au Mans et au delà.
- Comme riverain de la ligne actuelle car ma maison se situe à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de la voie ferrée et de la gare et que je perçois donc bien le bruit que les TGV actuels peuvent occasionner lors de leur passage et, surtout, lors de leur arrêt en gare.
Je suis intervenu de longue date dans le débat :
- Dès 1994, j’ai écrit aux journaux une lettre, publiée dans “Ouest France” du 20 octobre 1994, indiquant, qu’à mon avis, il n’y avait pas d’utilité publique pour ce projet de ligne nouvelle dont on connaissait déjà les grandes lignes.
- A partir de 1997, je me suis mobilisé avec une association locale “Sablé Environnement” contre ce projet qui devenait plus concret avec l’arrivée en mairie de la fameuse “valise” et, plus particulièrement, contre le risque de voir la gare de Sablé détournée. Risque écarté aujourd’hui mais cela ne supprime pas mon opposition de fond comme on le verra plus loin.
- Je n’ai pas manqué d’intervenir à plusieurs reprises au Conseil Municipal, avant même la réception de la “valise” et j’ai voté l’avis défavorable adopté par la commune de Sablé contre le projet de nouvelle LGV le 20 juin 1997. Cet avis contestait, certes, le contournement de Sablé mais allait plus loin en contestant la totalité du projet avec des attendus qui sont toujours valables.
- Enfin, j’ai participé, par oral ou par écrit, à tous les débats organisés par la SNCF, RFF et toutes les commissions ad hoc, depuis plus de 10 ans.
Ma conviction n’a pas changé : je suis opposé à la déclaration d’utilité publique. Je voudrais en donner les raisons essentielles ci dessous.
Il existe déjà une Ligne à Grande Vitesse entre Paris et Connérré.
Inaugurée en 1989, cette LGV a permis un gain de temps considérable entre Paris et le Mans mais également, au delà, vers Rennes, Nantes, Brest et Quimper. Par contre, on a pu noter quelques effets pervers inhérents à ce type d’équipement et à leur utilisation : la ville de Chartres se trouve, désormais, moins bien reliée au Mans et l’Ouest de la France ; si Le Mans se trouve à 55 minutes de Paris, cela a pu renforcer son attractivité mais certains analystes soulignent le fait que ce rapprochement en fait une sorte de “cité dortoir” de la capitale ; l’arrivée du TGV s’est traduite, dans un premier temps par une dégradation très nette de la desserte de Sablé et il a fallu se battre pour que 2 TGV par jour et dans chaque sens s‘arrêtent en gare et pour que les TER soient plus nombreux ; et, enfin, il ne faut pas oublier la gêne occasionnée par la réservation obligatoire et le sur-coût lié à cette contrainte (très sensible pour une famille nombreuse comme la mienne)
Entre Paris et Nantes, le gain de temps supplémentaire qui résulterait de la construction de la nouvelle LGV est dérisoire (on parle de 8 minutes)
et, au delà, il n’y a plus de grandes villes sinon, dans une certaine mesure, le port de Saint Nazaire et les plages de l’Atlantique, donc, peu de lieux qui pourraient tirer un grand bénéfice de cette nouvelle LGV. On remarquera que l’essentiel du gain en temps serait obtenu par le contournement du Mans dont la justification est douteuse, d’autant plus sujette à caution qu’elle n’a pas été réalisée en 1989. Dépenser des sommes importantes pour un bénéfice aussi limité ne me semble pas être une bonne gestion de l’argent public. Il faut rappeler que des travaux importants de rectification des profils ont eu lieu en 1981, à l’occasion de l’électrification de la ligne Le Mans - Nantes et que les trains peuvent d’ores et déjà rouler à 220 km/h
Il y a d’autres travaux à engager pour améliorer le trafic sur ce tronçon :
- Chacun s’accorde à constater que des gains de temps, de dessertes et de sécurité appréciables pourraient encore être obtenus en modernisant le tronçon Angers - Nantes. Le trafic sur ce parcours est d’autant plus important qu’une ligne Angers - Orléans se greffe sur ce tronçon et est desservie par un train spécifique nommé “Interloire”. Le document servant de base à l’enquête publique évoque la construction d’une troisième voie sur ce tronçon Angers - Nantes mais en reste là. Il semble nécessaire d’aller plus avant et vite.
- Pour développer le port de Nantes - Saint Nazaire, il faut que l’arrière pays soit bien relié à cet ensemble portuaire. Le rail a un rôle important à jouer mais certains craignent que le trafic de fret n’utilise des “sillons” nécessaires au trafic voyageurs. C’est pourquoi, il est nécessaire de remettre en service la ligne Sablé - Saint Nazaire par Château Gontier et Châteaubriant. L’action d’associations a permis d’empêcher le déclassement de cette ligne. Il faut remettre des rails là où ils ont été déposés et moderniser la ligne et une alternative peu coûteuse serait obtenue.
- La mise en place des Z Ter a montré que l’on pouvait rallier très rapidement Nantes à partir du Mans et vice versa en s’arrêtant à Sablé, Angers et Ancenis. Les Z Ter les plus rapides mettent 1h23 alors que les TGV les plus performants ont besoin d’1h16 sans s’arrêter à Ancenis ou Sablé. Donc : le Z Ter est aussi rapide que le TGV mais plus souple et moins cher (pas de réservation obligatoire) et, enfin, en allant vite, il dégage des “sillons” pour les TGV.
- Une association a émis une proposition qui aurait pu justifier, en partie, la construction du tronçon Poillé - Sablé : il s’agit de la fameuse “virgule” qui permettrait de faire circuler les trains sur une LGV entre Sablé et Laval et, donc, de relier Nantes, capitale régionale et Laval. Or, le dossier d’enquête évacue cette suggestion en disant que ce n’est pas le sujet de la présente demande de déclaration d’utilité publique et que ce serait étudié ultérieurement.Un des arguments en faveur de la LGV nouvelle est ainsi torpillé par ses partisans !
En ce qui concerne la ligne Le Mans - Rennes, la démonstration aurait pu être la même si la rénovation de ce tronçon avait été réalisée comme entre Le Mans et Angers
Depuis 1989, on aurait eu un gain de temps supplémentaire appréciable entre Paris et la capitale de la Bretagne et les Z Ter qui y circulent pourraient aller jusqu’à 220 km/h ; il est paradoxal que l’inaction du passé justifie des choix contestables pour l’avenir ! Cependant, il est toujours possible de rénover cette ligne, ce qui serait nettement moins coûteux qu’une LGV et profiterait à tous les types de trains.
La véritable alternative au TGV sur les lignes situées au delà du Mans est le recours à la technique du “pendulaire”
Le document écarte cette solution du moins jusqu’à Rennes. Néanmoins, on ne peut ignorer les faits suivants :
- Cette technique n’est pas une vue de l’esprit mais, au contraire, elle donne satisfaction dans de nombreux pays ;
- Il est, également, frappant de constater que le ministre Gayssot était intéressé par le pendulaire mais seulement au delà de Rennes ; pourquoi pas avant ???
- Le pendulaire est immédiatement utilisable et serait très performant, sur les lignes déjà rénovées puis sur celles qui devraient l’être (voir plus haut) alors que la LGV, si elle est construite, ne sera utilisable que dans de nombreuses années.
Pour justifier la réalisation de la nouvelle LGV, le document indique que Rennes, Nantes et les autres villes de l’Ouest seront mieux reliées au reste de la France et de l’Europe mais cet argument souffre d’une grave faiblesse.
En effet, le contournement de Paris, essentiel pour une liaison plus rapide entre l’Ouest et le reste du réseau TGV national et international, n’est pas satisfaisant car les TGV utilisent en partie les lignes classiques pour passer d’une LGV à l’autre. La priorité est donc dans la construction du dit “barreau de l’Essonne”.
Le document n’évoque pas le “nerf de la guerre”. Or comment déclarer d’utilité publique un projet dont on ne sait pas comment il sera financé !
L’État et RFF ont d’autres priorités dans le domaine des infrastructures et la LGV Le Mans - Rennes est placée derrière des projets qui permettent mieux de relier la France à d’autres pays européens ou l’Est et le Sud de la France ; les Régions ne pourront pas se substituer à l’État si celui ci est défaillant pas plus que l’Union Européenne. Enfin, RFF doit faire un effort considérable pour rénover les lignes “classiques” dont un récent rapport remis par deux experts suisses montrait l’état de fort délabrement. Doit on déclarer d’utilité publique un projet qui risque fort, s’il est décidé, de ne se réaliser que dans 10 ou 15 ans ? Les riverains et expropriés éventuels ne vont pas apprécier car, dès la déclaration de DUP, ils subiront une dévalorisation de leur patrimoine sans même avoir la consolation de servir le bien commun !
Il faudrait plus raisonner en termes d’aménagement du territoire.
Si le TGV renforce le poids et l’attractivité des villes qu’il dessert, du moins quand elles sont à une distance-temps pas trop proche de Paris, il a tendance, à l’inverse à défavoriser les régions rurales et les villes non desservies. Un journaliste évoquait récemment une “fracture territoriale”. Le chemin de fer ne peut se réduire au TGV et à une volonté, louable, de concurrencer l’avion ou la voiture individuelle. Il demeure un outil pour “irriguer” le territoire et éviter la constitution de “déserts”. Un réseau dense de transports en commun est plus que jamais nécessaire au moment où le déclin inéluctable de la production pétrolière met en cause la “civilisation de l’automobile” Le train ne peut être réservé à une “élite” qui veut pouvoir faire l’aller retour Rennes Lyon dans la journée et qui a les moyens de payer ; il doit rester à la portée de tous.
Tout miser sur le TGV comme le fait la SNCF depuis plus de 20 ans est une erreur. Évitons donc de l’aggraver par un projet particulièrement contestable.
Je termine cet avis par quelques remarques de “forme” :
- Le délai d’enquête est d’un mois et demi dont quinze jours situés pendant une période de vacances ; c’est trop court pour pouvoir étudier un dossier aussi lourd à tous les sens du mot. Les responsables du ministère de l’Écologie et du Développement Durable le soulignent amèrement ;
- Le fait que RFF finance cette enquête fait peser un doute sur l’impartialité du débat
- Le dossier est déséquilibré car il passe largement sous silence l’opposition importante à ce projet de la part d’associations comme ALTO et de la part d’élus, en particulier de la ville du Mans, des communes concernées ou du Conseil Général de la Sarthe. Ce manque d’objectivité est choquant !
Pour toutes ces raisons, je demande aux commissaires enquêteurs d’émettre un avis DÉFAVORABLE en totalité.
En vous remerciant de m’avoir lu.