"Convergence des Services Publics a publié un article passionnant sur la crise et ses conséquences signé Jean-Claude Chailley. Article écrit avant la perte du fameux triple A
Après la crise, la dette, le triple A, les "hypothèses" de croissance, revues à la baisse tous les 15 jours, sont les nouveaux prétextes à l’austérité.
Ça suffit ! Pourquoi en est-on arrivé là, quelles sont les options ?
UNE CRISE « SYSTÉMIQUE » GRAVISSIME.
Origine : la mondialisation libérale contre les modèles sociaux
Nous sommes toujours dans la phase de mondialisation ouverte dans les années 80 par Reagan et Thatcher : libéralisation, déréglementation, privatisation, libre échange, concurrence généralisée, notamment entre salariés. Depuis, les crises se sont multipliées mais celle-ci est de loin la plus grave.
La déréglementation, ce n’est pas que la libre circulation des capitaux, des produits dérivés opaques, l’abandon du contrôle des changes, …C’est aussi le libre échange, l’achèvement du marché intérieur, les directives européennes, les privatisations, la RGPP, l’harmonisation… C’est aussi la réduction presque à néant du pouvoir des peuples, des Parlements et gouvernements nationaux rendus impuissants face aux multinationales. La mondialisation libérale c’est l’opposé de l’internationalisme de Jaurès
La France aussi après des mesures positives de « rupture avec le capitalisme » en 1981 (retraite à 60 ans, large plan de nationalisations, 39 H …), s’est coulée dans ce moule dès 1983 avec la « parenthèse » de la rigueur », pour aller vers l’Acte unique européen (1986) et le Traité de Maastricht (1992). S’ensuivent 30 années de privatisations, désindustrialisation, montée du chômage, de la pauvreté de masse. La part des salaires dans la valeur ajoutée baisse (6 à 10 points selon les estimations, soit 120 à 200 mds € / an !).
Les bas salaires causes de la crise ? La preuve par la Grèce :
Le taux de rémunération en Grèce est un des plus bas de l’Europe des 17. L’austérité n’est pas la solution, c’est la cause.
Les services publics causes de la crise, de la dette ?
C’est une contre vérité qui masque la volonté de privatiser tout ce qui est rentable, laissant à la « solidarité nationale » tout ce qui est déficitaire, une cause de plus de la dette. Or :
- La part des dépenses publiques dans le PIB est stable depuis des années
- La privatisation coûte plus cher aux usagers (gaz …) et prive l’État de ressources (versement de dividendes aux actionnaires au lieu de les incorporer dans les ressources de l’état)
- Les contrats de partenariat public - privé entraînent des dettes pour des décennies, voire de purs scandales (hôpital du sud francilien)
Faut-il diminuer les prélèvements obligatoires ?
C’est un autre concept purement libéral, prétexte à privatisation. Par exemple si on privatisait l’enseignement la part des prélèvements obligatoires baisserait mais il faudrait payer les études dans des écoles privées. Idem pour la santé, dont témoigne le résultat lamentable aux Etats Unis tant sur prise en charge des soins que sur le budget. Diminuer les prélèvements obligatoires, c’est augmenter la dette et les inégalités.
Le cercle vicieux : limitation de la consommation, donc de la production, création d’une bulle financière
Limitation de la consommation, qui entraîne une limitation de la production.
Augmentation des profits, dont beaucoup non réinvestis : en France en 2010, 210 mds de dividendes versés par les entreprises non financières, soit 1/3 de la masse salariale ; 182 mds € d’investissements seulement : la bulle se crée.
Des masses de capitaux ne trouvant pas à s’investir dans l’économie réelle se tournent vers la spéculation. Exemple les CDS (Credit Default Swaps), assurance contre le défaut d’un pays. Les estimations sont de 30 à 50 000 mds de dollars (100 à 150 fois le PIB de la Grèce !).
Les banques – privatisées - gagnent plus en spéculant qu’en prêtant aux entreprises.
Les entreprises doivent atteindre des taux de profit se rapprochant de ce que rapporte la spéculation, 10, 15 % … D’où la désindustrialisation, les délocalisations, les licenciements, la souffrance au travail.
Les grandes entreprises créent un secteur financier qui gagne plus que l’industrie.
C’est la financiarisation généralisée qui se termine dans la crise d’ensemble du système capitaliste.
L’EURO FORT AGGRAVE LA CRISE
L’euro a été institué dans des États aux performances économiques et industrielles fort différentes et dans le cadre des traités de Maastricht à Lisbonne, de concurrence libre et non faussée, de libre échange. Les faits prouvent que ce cocktail .ne fonctionne pas. Il accentue les divergences entre pays :Pour l’Allemagne, l’euro à 1,40 $ est sous évalué, favorisant ses exportations ; pour la France (la Grèce,…) il est surévalué, entraînant la désindustrialisation, l’effondrement du commerce extérieur (75 mds € de déficit en 2011).
Comme on ne peut pas dévaluer, les seules variables d’ajustement sont les salaires, la protection sociale, les services publics…c’est ce qui se passe.
Mérite analyse: Ratio dette / PIB en 2010 (Eurostat) Europe des 27 : 80,2 % / Zone euro : 85,5 %, soit + 5,3 points
LA DETTE…ET LES CRÉANCIERS
Rappel : la dette est un transfert : du débiteur vers le créancier. L’expression « on a des dettes » oublie volontairement les créanciers qui détiennent la dette ; certains ont des dettes, d’autres des créances.
Origine de l’explosion de la dette: une accumulation de décisions politiques
La dette c’est le profit des multinationales, des banques et institutions financières.
Elles ont intérêt à ce que leurs créances augmentent ; les gouvernements s’en chargent :
En 1973 Pompidou et Giscard obligent l’état à emprunter auprès des banques, quel que soit le taux. Cette loi sera généralisée dans le traité de Maastricht et suivants.
o Les exonérations / exemptions de cotisations sociales augmentent régulièrement (80 mds € en 2010 ; sans elles –ou une partie d’entre elles – …, on ne parlerait pas de dette en France)
o La fiscalité des entreprises : une bonne partie des « niches » fiscales entreprises n’est pas justifiée. En 1981 l’impôt sur les sociétés était de 50%. Aujourd’hui Total ne paie quasiment pas d’impôt, ce qui n’empêche pas qu’il y a 5 M de chômeurs et précaires
o Simultanément la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée diminue les recettes de l’état et de la protection sociale ;
o L’imposition des plus fortunés a également baissé.
o 40 mds € de fraude fiscale par an, 20 mds de fraude sociale, principalement des entreprises.
o Les privatisations, les partenariats public- privé – les emprunts » toxiques » qui en sont la conséquence, privent les finances publiques de ressources considérables.
La bulle croit de façon gigantesque, la spéculation aussi.
Par manque de pouvoir d’achat les salariés s’endettent ; les collectivités territoriales s’endettent ; les États s’endettent. A force on ne peut plus rembourser ni même payer les intérêts. La crise, « systémique », est mondiale ; la régression sociale aussi.
Les emprunts (ni « toxiques », ni PPP partenariats public –privé comme l’hôpital du sud francilien,…) devraient servir à des investissements productifs utiles, aux services publics, à la protection sociale. La dette les étouffe.
En conséquence la question de la légitimité - donc de l’effacement - de tout ou partie de la dette est posé. D’où l’audit citoyen de la dette publique auquel Résistance Sociale participe.
DE LA CRISE A LA DETTE « SOUVERAINE ».
Des banques s’effondrent. Les États (citoyens) déjà endettés les renflouent…en empruntant auprès des banques (article 123 Traité de Lisbonne).
Le sauvetage des banques et institutions financières (privées) a couté aux États 11900 mds $ ( OCDE).
La déficit de la zone euro passe de 0,6 % du PIB en 2007 à 6,3 % en 2009. Le ratio de la dette publique passe de 66,7 à 78 %.
. Ubuesque : Les banques exigent des états de rembourser l’argent qu’elles leur ont emprunté pour les sauver, plus les intérêts
Nouveaux emprunts, la boule de neige grossit devient incontrôlable.
La politique qui créé la crise et la dette continue et même s’amplifie… tout en imposant aux salariés et retraités de compenser par l’austérité. Même les plus libéraux reconnaissent qu’on va dans le mur. Et pourtant ils continuent : Fillon : il faut des « sacrifices », se « retrousser les manches » (les chômeurs apprécieront !).
Il n’y aura pas de statu quo ; à nous de défendre notre modèle social.
Danger d’explosion des intérêts de la dette
En France : le ratio dette / PIB passe de 64,2 % en 2007 à 86,2 % à fin juin 2011
La dette de l’État est détenue à 66 % par des non résidents ; 1% de la dette est détenue directement par les ménages.
Le paiement des intérêts de la dette est avec 49 mds € le 1er budget de l’état en 2012. Si le cadre ne change pas (cf audit…) il augmentera parce que la dette augmente, parce que le taux d’intérêt des emprunts augmente rapidement : Or + 1% de taux d’intérêt = 2 mds de plus par an, cumulatifs (10 mds par an la 5ème année) : en 1 mois le taux a augmenté de 0,5%.
LE CHÂTEAU DE CARTES
Les pays européens, les USA, le Japon, …ont des dettes et créances les uns vis-à-vis des autres. Vous trouverez sur le site www.resistancesociale.fr une infographie d’ensemble à fin juin. La France détenait plus de 900 mds € de créances nettes sur les autres pays, dont 365 sur l’Italie, 118 sur l’Espagne, 54 sur la Grèce, 19 sur le Portugal. L’Espagne détenait 62 mds de créances sur le Portugal..
Or tous ces pays sont en difficulté, d’où le risque de contagion généralisée
LA CRISE, LA DETTE, L’AUSTERITE, CONTRE LA DÉMOCRATIE :
M Rocard : « Dans l’état de colère où va se trouver ce peuple, on peut douter qu’aucun gouvernement grec ne puisse tenir sans appui de l’armée. Cette réflexion triste vaut sans doute pour le Portugal et/ou l’Irlande, et/ou d’autres, plus gros. Jusqu’où ira-ton ? » A ce jour il n’y a pas de colonels, mais déjà l’extrême droite
Le spectacle du G20 sur le référendum en Grèce est affligeant. La composition du gouvernement aussi, Les électeurs socialistes du PASOK n’imaginaient sûrement pas avoir voté pour que la droite et l’extrême droite entrent dans un gouvernement dirigé par le PASOK sous les bravos de Sarkozy, Merkel, de la » troïka » (FMI, UE,BCE)
MISE SOUS TUTELLE de la « TROÏKA », des « MARCHÉS »
Il ne s’agit pas fédéralisme –qui mériterait débat – mais de mise sous tutelle de la Grèce, de l’Italie, de tous les pays de la zone euro par la « troïka » - en réalité par les « marchés » - pour imposer encore plus d’austérité, La démocratie, la souveraineté populaire sont en danger.
Le Pacte pour l’euro plus, la « règle d’or », sont précis quant à l’éradication des modèles sociaux. La BCE assure la surveillance budgétaire, décidant de fait du budget de l’état et de la Sécurité Sociale. 2 gouvernements ont été virés, non par leur peuple, mais par la troïka, lançant un avertissement à tous.
Chantage et erreurs « techniques » de Standard & Poors
10 juin 2011 : "Si les autorités françaises ne poursuivent pas la réforme du système de retraites, ne continuent pas de modifier le système de Sécurité sociale et ne consolident pas la situation budgétaire face à la hausse des dépenses de santé et de retraites, il est peu probable que Standard and Poor's maintienne sa note AAA". Malgré les mesures prises (ou à cause),il semble ce 12 décembre que le AAA vive ses dernières heures.
ACTUELLEMENT DANS LE DÉBAT :
· Est-ce qu’il faut « partager plus équitablement les efforts » ou « ce n’est pas aux salariés (chômeurs et retraités inclus) de payer la crise dont ils ne sont pas responsables » ?
· Faut-il augmenter significativement le SMIC, les salaires,…ou les baisser ?
· Faut-il baisser les prélèvements obligatoires, donc privatiser davantage, ou doit-on défendre et reconquérir les services publics, la protection sociale ?
· Faut-il revenir sur une bonne partie des exonérations / exemptions de cotisations sociales patronales ou les augmenter en transférant le coût sur une TVA ?
· Faut-il revenir sur une bonne partie des « niches » fiscales entreprises, se donner les moyens de lutte contre la fraude (paradis fiscaux inclus).
· L’augmentation de l’impôt sur le revenu touchera t’elle les couches moyennes en cette période de baisse du pouvoir
d’achat sauf pour une petite minorité ?
· Faut-il il un pôle public financier ? Quel périmètre ? Nationaliser des banques, voire des grandes entreprises, faciliterait-il une politique industrielle respectueuse de l’environnement ?
· Faut-il « rembourser la dette » ou la considérer en tout ou partie « illégitime » ?
· Faut-il monétiser la dette (planche à billets), et comment ? (la monétisation a fortiori massive, est interdite par le Traité de Lisbonne)
· Faut-il respecter, changer …le Traité de Lisbonne, le Pacte pour l’euro plus, accepter ou combattre le projet de traité intergouvernemental de la zone euro ?
· Faut-il adopter la « règle d’or » après les élections ? Quelles propositions ?
· Faut-il sortir de l’euro ? Pour une monnaie commune ou non ?
· Doit-on poursuivre la libéralisation des échanges (Doha, bilatérales…) ou instaurer de nouvelles règles équilibrées
permettant une réindustrialisation ?
· Comment maîtriser la finance, le taux de change des monnaies, arme commerciale ?
Ce sont quelques-unes des questions dans l’actualité. Elles sont liées dans des choix politiques fondamentaux exigés par le caractère « systémique » de la crise.
La démocratie exige qu’elles ne soient pas éludées.